Nous habitons une gare située sur l’une des cinq lignes à voie étroite qui constituaient le réseau départemental : celle qui pendant plus de trente ans assura le transport des voyageurs et des marchandises entre Mâcon et Fleurville, faisant un long détour dans le vignoble mâconnais , en passant par Verzé, Azé et Saint Gengoux.

A toute vapeur avec un petit train autrefois. . .

NAISSANCE DE LA LIGNE

En 1897, le Conseil Général de Saône-et-Loire déclare d'utilité publique la création d'un réseau le chemins de fer à voie étroite dans plusieurs secteurs du département. Bien que celui-ci soit pourvu d'un important réseau ferroviaire (en 1900 ce sont 914 km de voies qui sillonnent Saône-et-Loire), l'intérêt de ces petites lignes n'était pas à négliger : elles permettaient un déplacement plus facile des populations rurales vers la ville, mais aussi le transport de nombreux produits du Haut-Mâconnais. L'ensemble du réseau départemental fut donc concédé à deux entrepreneurs de travaux publics, MM. COIGNET et GROSSELIN, qui créèrent alors la COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER D'INTÉRÊT LOCAL DE SAONE-ETLOIRE. Les chantiers furent aussitôt ouverts :

 

Le 9 novembre 1900, un premier voyage d'essai eut lieu sur la ligne Mâcon-Fleurville. En voici le compte-rendu, tel qu'il parut dans le Courrier de Saône-et-Loire du 10 novembre 1900.

" Vendredi matin a eu lieu à 6 heures le départ d'un train spécial chargé de la vérification de la ligne Fleurville-Mâcon. Dans le train d'inauguration, la commission spéciale était composée de MM. Simyan, député de la 2" circonscription de Mâcon, François Protat et Bouilloud, conseillers généraux, Tourtay, ingénieur en chef, Lacroix et Champy, ingénieurs ordinaires, Dumont, ingénieur de la Compagnie, etc. Le retour s'est effectué a midi après un parcours de 71 kilomètres aller-et-retour.

La commission a constaté que la ligne était en excellent état et fait appel à l'indulgence des voyageurs pour certains travaux d'aménagement des gares. L'inauguration officielle aura lieu dans un mois (Les journaux de l'époque ne semblent pas avoir rendu compte de cette manifestation. Mais, a-t-elle eu lieu réellement ?). La ligne est ouverte au public demain dimanche 11 courant, ainsi que nous l'avons annoncé. "

Ce fut donc le 11 novembre 1900 que s'élança pour la première fois ce tramway à vapeur, très vite adopté et rebaptisé avec ironie, mais bien amicalement, par les Mâconnais, le "Tacot" de Fleurville.

Ce nouveau moyen de locomotion connut d'emblée un vif succès auprès de la population urbaine et villageoise. A travers champs et vignobles, le parcours de 3 5,248 km (soyons précis) s'effectuait bon an mal an à la vitesse "vertigineuse" de 20 km à l'heure. Il fallait donc un peu moins de deux heures pour rallier le chef-lieu du département à Fleurville via Igé et Lugny.

Avec trois allers et retours quotidiens, il rendait de nombreux services à tous : il fallait voir, les jours de foire et de marché, la halte à la Place de la Barre envahie par les marchandes de crème fraîche, oeufs, fromages de chèvre, et autres excellents produits du Haut-Mâconnais.

Les dimanches et jours de fête, c'étaient les gens de la ville qui partaient en direction de Verchizeuil. Malgré les escarbilles et les odeurs de fumée lâchées par la locomotive, c'est avec bonne humeur que tout ce beau monde prenait d'assaut le petit train pour aller cueillir muguet ou champignons, selon la saison, ou pour aller déguster grenouilles et escargots préparés par un restaurateur réputé.

horaires manuscrits

Et puis le ramassage scolaire de ce début de siècle, c'était lui, le Tacot, qui l'assurait ! Ecoliers, élèves du Cours complémentaire ou du Lycée envahissaient matins et soirs les petits wagons et s'installaient en chahutant sur les banquettes de bois, sous le regard bienveillant du chef de train. Signalons à titre indicatif que, pour l'année 1909, furent vendus au départ de Mâcon 36 242 billets aller-retour.

Le transport des marchandises était tout aussi important et l'on pouvait voir les wagons chargés de tonneaux (les vins du Mâconnais étaient déjà renommés), de bois, de bétail, de pierre de taille ou de terre réfractaire (celle de Verchizeuil était recherchée).

Enfin, le service des Postes utilisait le tramway pour transporter le courrier. Sacs postaux, colis, étaient ainsi acheminés vers les bureaux de poste situés à proximité de la ligne.

A la mauvaise saison, certaines portions du parcours étaient bien difficiles pour le tacot. Emile Magnien nous le rappelle dam son album Mâcon en cartes postales anciennes : La forte pente de la rue de l'Héritan entre Mâcon et Placé était, a l'automne, au moment de la chute des feuilles humides sur les rails, une épreuve redoutable pour le petit train qui n'arrivait pas toujours à la surmonter du premier coup. il lui fallait alors redescendre place de la Barre et "faire de la pression" pour s'élancer de nouveau vers Flacé.

EXPLOITATION DE LA LIGNE

Dans son roman intitulé Le Péché de Jacinthe, un écrivain belge, Jean Lurkin (un journaliste belge qui vécut quelques mois à Mâcon pendant la "grande guerre". Certains de ses romans ont pour cadre le Mâconnais ; entre autres, celui dont le titre est à lui seul tout un programme : La Bataille de la Saône ou le grand Serment du "Parisien", épopée bachique de la Bourgogne contemporaine), décrivait avec humour le "tacot de Fleurville".

Voici (grâce à quelques chiffres) ce qu'était en réalité ce tramway à voie étroite. Composé de deux ou trois wagons de voyageurs, d'un fourgon à bagages et d'un wagon à marchandises, le convoi était tracté par une locomotive à vapeur du type 030T, de 17 tonnes à vide et de 21 tonnes en ordre de marche, fabriquée par les établissements Corpet-Louvet.

Chaque train comportait un mécanicien, un chauffeur et chef de train. L'ensemble du matériel roulant de la ligne était constitué de la façon suivante :

Le dépôt des machines et des voitures ainsi que l'atelier de réparation étaient installés dans la gare de marchandises de Fleurville. Seule une remise avait été construite à Mâcon pouvant abriter une locomotive.

Le service de chaque station était assuré par un homme faisant fonction de chef de station aidé de deux hommes d'équipe chargés du service des marchandises et du transbordement. C'est le chef de station qui était chargé de la distribution des billets et de l'enregistrement des bagages de "grande et de petite vitesse ".

ITINÉRAIRE DU TRAMWAY

Décrit avec précision dans un exposé préliminaire daté du 26 février 1898, l'itinéraire prévu par les concessionnaires correspond bien au trajet définitif de la ligne. Le voici reproduit dans son intégralité :

" La ligne a son point de départ dans la cour des voyageurs de la gare de Mâcon, emprunte la rue Saint-Brice (aujourd'hui, rue Victor Hugo) jusqu'à la place de la Barre.

De cette place, le tracé suit le chemin de grande communication n° 82, qui porte le nom de rue de l'Héritan dans la traverse de Mâcon. Il suit également ce même chemin dans la traverse de Flacé et continue jusqu'à Hurigny en se tenant alternativement sur la route ou en dérivation.

Un peu après Hurigny, la ligne abandonne le chemin de grande communication n° 82 pour suivre, soit sur accotement, soit en côtoyant le chemin d'intérêt commun n° 34, ainsi que le chemin vicinal de Verzé jusqu'à la station de Verzé.

De ce point, la ligne franchit le ruisseau de Talenchant sur un ponteau de 2 mètres, remonte vers le Nord pour desservir les communes d'igé, Azé, Saint-Gengoux de Scissé, Bissy-la-Mâconnaise et le chef-lieu de canton, Lugny.

De Lugny, la ligne se dirige vers l'Est pour se souder au chemin de fer Paris à Marseille, à la station de Pont de-Vauxx-Fleurville.

La longueur de la ligne, mesurt d'axe en axe du bâtiment des voy, geurs est de 35,400 km. Le nombre des stations est de 16."

EVOLUTION

En consultant l'horaire de l'année 1923, on constate que l'arrêt de la Place de la Barre n'existe plus, remplacé par un arrêt facultatif situé sans doute à l'angle de la rue de l'Héritan et de l'actuelle rue du l1 novembre 1918, proche de la Place d'Armes (actuel Square de la Paix).

En 1921 en effet, des travaux d'embellissement de la Place de la Barre furent entrepris et c'est à cette époque que l'on y érigea Les Porteurs de benne, œuvre du statuaire mâconnais Pierre Morlon. Ce monument de bronze remplaça avantageusement la petite bâtisse peu esthétique de la station de chemin de fer. . .

Annonçant déjà la fin du petit tacot, seuls deux aller et retour quotidiens sont maintenus (sauf exceptions) alors qu'il en existait trois à la création de la ligne.

L'ACCIDENT DE CHAZOUX

Il n'était pas rare que le bon déroulement d'un voyage à bord de notre tacot soit troublé par quelque fâcheux incident, voire quelque accident, heureusement sans gravité, semble-t-il. C'est ce qui arriva par une belle journée du mois de mai 1907. Un article paru dans le Journal de Saone-et-Loire n° 130, du lundi 13 mai, nous relate les détails de cet événement :

" Macon - Déraillement du tram.

Hier soir, ainsi que c'est son habitude, le train Mâcon-Fleurville a encore fait des siennes et, arrivé près de Chazoux, a déraillé, ce qui a produit deux heures de retard.

L’accident a été occasionné par un rail qui, s'étant déboulonné, a été soulevé à une des extrémités et a traversé de bas en haut un wagon de marchandises ; on tremble à la pensée de l'accident terrible qui aurait pu se produire si le rail avait traversé une voiture garnie de voyageurs.

A la suite de la locomotive, plusieurs wagons de marchandises ont déraillé. Les voyageurs, heureusement, en ont été quittes pour la peur. Seul le mécanicien a été légèrement blessé à la main droite ; il a pu cependant continuer son service.

Un transbordement a aussitôt été organisé et une équipe d'ouvriers a réparé immédiatement la voie. "

DECLIN

C'est pendant la guerre de 1914-1918 qu'apparurent les premiers signes du déclin de la ligne. Pendant cette période trouble le service fut réduit à un seul aller-retour par jour. Après le conflit, une deuxième navette fut rétablie mais, bien vite, l'exploitation de la ligne devint peu rentable. Mise sous contrôle judiciaire, la Compagnie fut remplacée par une Régie départementale.

Le développement de l'industrie automobile fut une des causes majeures de la fin des petits tramways à vapeur. Autobus et camions devenaient pour eux une sévère concurrence. En 1931, le trafic "voyageurs" fut supprimé. Le transport des marchandises fut maintenu quelques années et c'est en 1935 que fut définitivement fermée la petite ligne. De cette époque ferroviaire, il ne reste guère aujourd'hui que les petites gares, transformées et utilisées comme maisons d'habitation. Les rails ont été pour la plupart enlevés ou recouverts par les couches successives de bitume. Seules quelques cartes postales jaunies, conservées avec passion dans les albums des collectionneurs, témoignent de ce que fut jadis un petit train qu'on appelait Le Tacot de Fleurville.

SOURCES

Pierre LAFFONT : Images de Saône et Loire, n°92, hiver 1992/1993

Archives départementales de Saône-et-Loire

Henri DOMENGIE : Les petits trains de jadis Sud-Est de la France

Emile MAGNIEN : Mâcon en cartes postales anciennes

Gabriel JEANTON : Le Vieux Mâcon ; Annales de l'Académie de Mâcon, 1932

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